Piero et Le Baptême du Christ http://sunsite.dk/cgfa/francesc/p-frances1.htm Le Baptême et " la fatalité de la mesure " Cette musique des proportions
qui règle en partie la composition des plan et des façades à la
Renaissance fut-elle aussi pratiquée en peinture? La présence du Titien parmi les experts chargés de valider les propositions
de Giorgi pour San Francesco Della Vigna à Venise indique déjà
que cet usage des
proportions pourrait bien concerner tous les arts plastiques. Tel est bien le cas ici : les carrés inclus dans les petits rectangles V¯2 (en bleu et vert dans le schéma ci-dessus) divisent le panneau en trois largeurs dont la plus importante au centre est dans un rapport V¯2 avec chacune des deux autres latérales (rapport trinitaire du Père avec le Fils et le Saint Esprit). La hauteur du panneau correspond aussi à deux fois la taille du Christ. Introduit par l'arc plein cintre qui limite la composition en hauteur (shéma suivant), deux grands cercles égaux, sécants, dont les centres sont aux 2/3 et au 1/3 de la hauteur totale règlent l'organisation verticale du tableau. Le torse du Christ est parfaitement inscrit dans un cercle dont le diamètre est le 1/4 du diamètre des deux grands cercles, soit la sixième partie de la hauteur totale et le tiers de la hauteur du Christ. La taille du Christ correspond donc aussi aux 3/4 du diamètre qui sous-tend la coupole du ciel. Nous retrouvons là les rapports musicaux chers à Alberti : l'octave, la quinte et la quarte qui s'organisent dans un espace rythmé aussi selon le rapport irrationnel V¯2.
" Le Baptême nous fait membres du Christ et du corps de l'Eglise " Un dessin à l'encre de Francesco Giorgio Martini (4) associe la forme du corps humain et le plan d'une église. Il s'agit là d'une illustration littérale du précepte de Vitruve repris en ces termes par Lucas pacioli : "... toutes les mesures et leurs dénominations (en architecture) dérivent du corps humain, dans lequel toutes sortes de proportions et de proportionalités se retrouvent, créées par le doigt du Très Haut, au moyen des lois mystérieuse de la nature" et parmi les ouvrages, ajoutait Vitruve, les Temples des Dieux sont ceux dont les proportions, réglées sur celles du corps humain, doivent être les plus soignées. Le dessin du personnage de Giorgio rappelle le Christ de Piero, les deux silhouettes superposées à la même échelle, coïncident étrangement. Le dessin de Giorgio aurait-il été tiré d'un dessin disparu de Piero ? Notons, entre autres analogies, le cercle dans lequel s'inscrit le torse à la croisée de la nef et du transept. Seules différences importantes : la tête du dessin est plus haute (5), rabaissant d'autant la ligne des épaules, bassin et jambes sont un peu plus larges et enfin bras et mains ont disparus (l'emprunt aurait-il alors été trop flagrant ou bien s'agissait-il de prendre en compte à la fois le plan basilical et le plan centré ? ). Giorgio aurait-il pu s'inspirer d'un dessin du maître prestigieux ? Les deux artistes ont été à une même période au service du Duc d'Urbino, ils ont assurément collaboré ne serait-ce que pour le retable Bréra. Tous deux aussi connaissaient certainement l'importance symbolique particulière attribuée au sacrement du baptême à propos duquel, l'historien Ronald Lightbone cite un passage d'une bulle du pape (6) publiée dans la conclusion du Concile de Florence (1439) : "Le Saint Baptême occupe la première place parmi les sacrements, parcequ'il est l'entrée dans la vie spirituelle. Car par lui nous sommes faits membres du Christ et du corps de l'Eglise."
Si le plan de l'église tracé par Giorgio n'est pas celui d'un édifice particulier mais plutôt une sorte de plan générique, de plan centré associé au plan basilical, force est de constater que le rapport des grandes dimensions L / l est analogue à celui de San Spirito à Florence. La construction de l'église du Saint-Esprit à Florence, conçue par Brunelleschi (1377-1446) dans les années trente, ne débuta que deux ans avant la disparition du maître. L'édifice fut terminé dans les dernières années du quattrocento sans que les principales proportions soient modifiées. Fut abandonné, par contre, l'audacieux parti pris de Brunelleschi de laisser les chapelles à plan demi-circulaire rythmer les murs extérieurs ainsi que la façade qui devait présenter quatre portes. Le plan de San Spirito est réglé sur le carré, plus précisément sur une trame de 15 sur 9 carrés (si on prend en compte les arrondis de la façade prévue à l'origine). La nef centrale a une largeur double des travées latérales, le grand carré à la croisée de la nef et du transept (ABCD) donne par rabattement de ses diagonales (restangle bleu V¯2), les ailes du transept et le Choeur . La partie de la nef précédant la croisée est un rectangle Ø (rectangle orangé). On peut en déduire que la silhouette humaine dessinée par Giorgio s'inscrit donc aussi dans le plan de l'église de Florence.
La présence de Piero à Florence où il travaille, au côté de Domenico Veneziano, est attestée en 1439 (date de la bulle citée). A Florence, a-t-il approché Brunelleshi ? nous ne le savons pas mais il est difficile de croire qu'il n'ait pas suivi les différents travaux du génial architecte de la coupole de Sainte-Marie-de-la -fleur. Toujours est-il que la superposition du plan de l'édifice sur la figure du Christ de Piero révèle des correspondances qui sont aussi assez troublantes. Notons, de plus, l'organisation des membres supérieurs du Christ selon le tracé du pentagone, et de ses diagonales (présence donc de la division en extrême et moyenne raison, dont, selon Pacioli, "le second attribut concordant est celui de la Sainte Trinité ; c'est-à-dire que, de même qu'en Dieu une seule substance réside en trois personnes, le Père, le Fils et l' Esprit-Saint,de la même façon, il convient qu'un même rapport ou proportion se trouve toujours entre trois termes" ), pentagone inscrit dans le cercle dont le diamètre est le tiers de la hauteur du Messie.
Simples coïncidences que toutes ces correspondances ? C'est peu probable, trop d'indices convergents sont signifiants (7). Méfions nous cependant des hypothèses trop hâtives. Il est possible que le plan de Brunelleschi dédié au Saint-Esprit ait été pour Piero une sorte de modèle de référence ou bien une figure imposée par un programme savant. Le parti pris consistant à organiser le tableau en consonance avec le plan de l'édifice pourrait être le signe que, par sa présence métonymique, l'Eglise s'associe en proportion à l'Esprit-Saint dans le Baptême, le baptême qui pour l'Eglise est " la révélation originale du mystère de la Trinité "(6).
(1) L'hypothèse selon laquelle
l'affaiblissement des tracés régulateurs en peinture serait concomitant du
développement de la perspective et de la recherche de l'illusion de la profondeur au
dépend de l'affirmation du plan est une hypothèse qui nous est chère mais qui
nécessiterait, pour être exposée ici, de trop longs développements. |
Michel Gardes
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Dernière mise à jour : 30/06/01 |